Se laver les yeux, changer de regard

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Photo DR : strawberryblackbeauty.com

 

Homélie pour le 4e dimanche Carême, A

1Samuel 1,6-7.10-13a / Psaume 22(23) / Ephésiens 5,8-14 / Jean 9,1-41

 

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Chers Amis,

Il y a en tout cas deux manières de lire l’Evangile que nous venons d’entendre, deux manières de le comprendre, au moins.

D’abord au pied de la lettre. Un aveugle de naissance est guéri par Jésus qui lui a mis de la boue sur les yeux et lui a demandé d’aller se laver à la piscine de Siloé.

Ça vous paraît peut-être une ancienne histoire… mais les miracles continuent, vous savez. C’est pas plus tard qu’il y a quelques années, à Lourdes, qu’une personne qui n’avait pas de rétine de naissance – ce qui est absolument incurable – en allant se laver les yeux à la grotte a guéri et voit maintenant.

Les miracles continuent. Nos journaux n’en parlent pas trop parce que… c’est pas très politiquement correct, on sait jamais : ça pourrait donner la foi à certains de nous… Mais ça continue. Voilà donc la première manière de lire ce texte: c’est un miracle.

Dans cette lecture au pied de la lettre, outre le miracle, ce qui est intéressant – peut-être même le plus intéressant – c’est la réaction des spectateurs. Ceux qui voient. Enfin ceux qui sont censés voir.

Parce qu’en fait ce sont les plus malvoyants de l’histoire. D’abord, ils n’y croient pas. Alors qu’ils ont vu, hein ! Mais ils n’y croient pas. Et pire, au moment où ils commencent à y croire, ils indiquent que c’est pas juste. C’est pas juste parce que c’était le jour du Sabbat et ce jour-là on n’a pas le droit de travailler, donc Jésus n’avait pas le droit de faire un miracle ce jour-là. C’est intelligent, hein !

Vous voyez la mauvaise foi… c’est ça. On voit le bien fait à quelqu’un et on dit : « C’est pas juste ! ».

En faisant cela ils usent d’un syllogisme. C’est un mot un peu barbare que tout le monde ne connaît pas forcément… Un syllogisme… Ça nous arrive parfois dans nos vies d’en utiliser, même si on ne connaît pas toujours le mot. Un syllogisme, c’est un raisonnement qui contient une erreur et qui amène à une fausse conclusion.

Jésus a guéri le jour de Sabbat, il a donc violé la Loi de Moïse. Or tout homme qui viole la Loi de Moïse n’est pas de Dieu. Donc Jésus n’est pas de Dieu. Syllogisme imparable.

Un syllogisme antique célèbre : Socrate aime le lait. Tous les chats aiment le lait. Donc Socrate est un chat. Imparable. Sauf que le raisonnement est faussé dès le départ.

Syllogisme plus actuel et médiatique : on connaît des prêtres dans notre entourage. Or à chaque fois qu’on parle d’un pédophile dans les journaux c’est un prêtre. Donc tous les prêtres de notre entourage sont pédophiles.

Il fait moins rire, celui-là… Je l’ai entendu il y a deux jours encore… C’est profondément débile, hein ! Faudra peut-être le dire aux gens qui raisonnent comme ça, quand même un jour… pas les laisser dans l’ignorance trop longtemps !

Le raisonnement par syllogisme nous est commun, terriblement commun. C’est un procédé qui aveugle.

Et dans cette première lecture de l’évangile – au pied de la lettre – les aveugles donc ne sont pas celui qu’on croyait au départ. Les aveugles, ce sont les Pharisiens, les spectateurs du miracle, qui sont en fait les plus gravement atteint de cécité.

Les aveugles, les vrais aveugles… ce sont eux.

Et si nous devions aujourd’hui nous projeter dans l’un ou l’autre des personnages de cette histoire, avouons-le chers Amis… nous dirions certainement que nous nous reconnaissons plutôt bien dans le rôle des Pharisiens !

Combien de fois sommes-nous aveugles ? Combien de fois jugeons-nous une personne sur les apparences, sans savoir ce qu’elle a vraiment dans le coeur, sans savoir ce qu’elle a vécu, sans savoir pourquoi elle réagit comme cela. Combien de fois collons-nous des étiquettes aux gens ?

Ça m’arrive aussi, hein ! Moi j’aime bien faire avancer les gens à l’église parce que je trouve toujours trop triste que les bancs de devant soient vides. Mais du coup je suis certainement aveuglé : la foi des gens qui sont sur le dernier banc est peut-être bien plus grande que la mienne. Et si je les jugeais j’agirais aveuglément.

Eux pourraient aussi être aveuglés, après ce petit raisonnement. Ils pourraient se dire : « Qu’est-ce que c’est que ce curé qui nous invite à avancer : on est très bien au fond. »

Si on invite à avancer, chers Amis, et là je parle aux gens des derniers rangs, c’est parce que, un jour, un jeune m’a dit : « Moi, quand j’entre dans une église, je suis un peu intimidé. Quand je vois que les derniers bancs sont pris, bah je ressors. Parce que j’ose pas m’avancer, aller devant. Mais peut-être qu’un jour, si je vois qu’il y a des places, derrière, pour moi, j’oserai m’y glisser sans que personne ne me remarque. Les gens qui seront devant ne me verront pas arriver, et je pourrai m’installer tranquillement. »

C’est une manière de toujours laisser la place aux retardataires, à celui qui arrive au dernier moment, qui n’a pas forcément envie d’être jugé ou vu par tout le monde…

…Vous y penserez. Vous voyez, il y a toujours au moins deux manières de voir les choses…

On peut donc regarder cette histoire de prime abord au pied de la lettre : c’est un miracle, et c’est déjà très très bien.

Mais on peut aussi – et j’ai commencé à le faire – lire cette histoire de manière symbolique.

Qu’est-ce qu’un aveugle de naissance, symboliquement ? N’est-ce pas, par exemple, celui qui a toute sa vie été aveuglé ? Qui n’a jamais regardé avec le coeur, comme nous le suggérait le premier livre de Samuel, notre première lecture ? N’est-ce pas, par exemple, celui qui n’a jamais vu vraiment les choses telles qu’elles sont ? Celui qui n’a jamais su voir au-delà des apparences, avec le coeur…

Regarder avec le coeur, c’est cet essentiel dont parle le Renard au Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux. » Faut rappeler aux amateurs du Petit Prince que c’est une phrase de la Bible… vous l’avez entendue dans la première lecture tout à l’heure…

L’aveugle, n’est-ce pas celui qui ne sait pas voir avec le coeur, par exemple ?

C’est quoi un aveugle de naissance, au fond ?

N’est-ce pas le croyant persuadé d’être meilleur que les autres parce que « MOI, je suis ici à la messe ce matin, alors que les autres pas ! »

N’est-ce pas le pratiquant régulier de l’eucharistie, persuadé d’être bon, lui qui n’a plus demandé le sacrement du pardon depuis des mois et des mois parce qu’il estime que ce n’est pas pour lui ? Lui, il ne fait pas de mal… D’ailleurs il est à la messe tous les dimanches. N’est-ce pas une forme d’aveuglement ?

Ou alors celui qui demande le sacrement du pardon à Noël ou à Pâques, comme ça c’est fait, et puis on verra si il y retourne avant l’année prochaine… N’est-ce pas une forme d’aveuglement sur soi-même ? Une manière de se dire : « J’ai pas besoin de Dieu, de son pardon… »

N’est-ce pas aussi le prêtre qui est en train de vous parler, moi qui aurais sacrément besoin en ce moment du sacrement du pardon ? Et je vais le vivre tout bientôt. Mais je suis aveuglé aussi certainement, sûrement…

Dans cette lecture-là, chers Amis, l’aveugle de naissance c’est moi, c’est nous, c’est chacun de nous, c’est nous tous ensemble.

Et c’est à chacun de nous que Jésus alors applique de la boue sur les yeux, dans un formidable geste d’amour, en se salissant les mains pour nous.

Seulement ça suffit pas… Ben oui : si l’aveugle était reparti avec la boue sur les yeux sans rien faire d’autre… bah il ne serait pas devenu voyant ! Ça suffit pas… Jésus lui demande quelque chose, il l’envoie en mission : « Va te laver à la piscine de Siloé ». C’est une piscine sacrée de Jérusalem.
Ça demande un effort, parce que – si on le voit faire ça – on va lui jeter des pierres, hein ! Un aveugle dans une piscine sacrée, ça passait pas du tout à l’époque.

Jésus lui demande un sacré effort : « Va te laver à la piscine sacrée ! »

Posons-nous alors la question : à quelle action le Christ nous invite, nous, aujourd’hui ? Lui qui nous applique de la boue à chaque eucharistie sur les yeux, peut-être nous dit-il aussi : « Va te laver à la piscine du sacrement de Réconciliation… ça te fera pas de mal, tu verras mieux, sûrement… »

Bien sûr, vous le savez bien, on ne le répétera jamais assez, la demande de pardon du début de la messe que nous avons faite tout à l’heure, cette demande nous pardonne pleinement – pleinement ! – nos modestes péchés, ceux que nous faisons tous les jours. Bien sûr…

A moins que nous n’en ayons de plus graves, de plus lourds sur la conscience.

Dans ce dernier cas c’est d’un prêtre qu’il faut nous approcher pour recevoir le sacrement du pardon…

Mais vous n’avez pas de péchés graves sur la conscience, chers Amis… moi non plus… C’est du moins ce que notre aveuglement nous laisse croire parfois…

Qu’est-ce qu’un péché grave ? Relisez les commandements de Dieu !

Aime ton prochain comme toi-même, ne porte pas de faux témoignage contre lui, ne convoite pas les biens de ton voisin…

Un péché grave ? Mais c’est l’orgueil par exemple…

L’orgueil qui nous fait nous croire meilleur que l’autre… celui qui n’est pas à la messe ce matin… L’orgueil qui nous fait croire que nous n’avons pas besoin de Dieu, nous. L’orgueil qui nous fait juger, étiqueter l’autre… L’orgueil qui nous fait convoiter les biens de l’autre. Je ne sais pas vous, mais moi je tombe souvent dans ces péchés-là.

Et ces péchés-là, c’est le sacrement de réconciliation qui les guérit.

Bien sûr c’est pas facile… Exactement comme pour l’aveugle à la piscine. C’est un acte courageux que Jésus nous demande. C’est pas facile d’aller trouver un prêtre, de se souvenir qu’à travers lui c’est à Dieu que l’on vient parler… Mais quel bonheur…! Quel bonheur en ressortant de là, quel bonheur de se sentir pardonné…

Et puis c’est pas facile en grande partie par nos préjugés, d’ailleurs. Parce que nous nous attendons peut-être à trouver en face de nous un juge, un prêtre qui nous va nous dire : « C’est pas bien ! C’est maaaaaaal ! »

Mais vous savez bien que ça ne se passe plus comme ça, Dieu merci !

Au contraire : nous, les prêtres, nous sommes immensément heureux de voir quelqu’un nous demander ce sacrement. Immensément heureux de vous voir revenir à Dieu, convertir votre coeur. Immensément heureux, vous ne pouvez pas savoir la joie que c’est de célébrer ce sacrement ! A chaque fois que vous nous le demandez !

Et nous sommes heureux aussi de vivre ce sacrement régulièrement, nous, avec un autre prêtre, bien sûr.

Lorsque nous prenons conscience, chers Amis, d’être cet aveugle qui a la chance d’avoir Jésus à sa disposition dans le prêtre du village… alors… pourquoi ne pas ouvrir les yeux avec l’eau du pardon ?

C’est l’un des plus beaux cadeaux que nous puissions offrir à Dieu que de venir lui demander son pardon, d’abord à la messe comme vous l’avez fait ce matin, comme vous le faites régulièrement…

Mais aussi dans le sacrement du pardon lorsque nos fautes les plus lourdes, nos orgueils, nos jugements nous pèsent…

Et le Carême est une très belle période pour cela. Ça tombe bien, on n’est qu’à la moitié : on a encore le temps…
Dieu, lui, ne nous juge jamais. Il nous accueille à bras ouverts puisque c’est avec nos défauts qu’il nous aime. C’est aveugles qu’il nous aime.

N’oublions jamais cela chers amis : Dieu nous aime tels que nous sommes. Aveugles, parfois. Et avides de retrouver la vue, comme Lui-même est avide de nous appliquer de la boue et de nous demander d’aller nous laver à la piscine du pardon.

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Les Haudères, samedi 25 mars 2017, 20.00
Saint Martin, dimanche 26 mars 2017, 10.30
Euseigne, dimanche 26 mars 2017, 18.00

 

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