Je suis… l’Eucharistie
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Je suis l’Eucharistie
Fruit de la belle session de l’Association Biblique Catholique (ABC) à l’été 2019 sur St Jean, au cœur de l’été et en pleine célébration de l’Eucharistie m’est apparue cette petite méditation que je voudrais vous partager ici.
On le sait bien, dans l’Evangile selon St Jean, Jésus dit « Je suis » à de nombreuses reprises. En sept moments-clés, ses « Je suis » sont suivis d’un complément :
– Je suis le pain de la vie (6,35)
– Je suis la lumière du monde (Jn 8,12)
– Je suis la porte (Jn 10,9)
– Je suis le bon berger (Jn 10,11)
– Je suis la résurrection et la vie (Jn 11,25)
– Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14,6)
– Je suis la vraie vigne (Jn 15,1)
Or chacun de ces « je suis… » peut correspondre à l’un des éléments de nos Eucharisties.
Comme il se doit, commençons par entrer… par la porte.
Je suis la porte – rites d’accueil
L’Eucharistie commence bien évidemment par le passage des fidèles à travers le porche d’une église ou d’une chapelle. Mais même lorsqu’on célèbre en extérieur, il est important de s’accueillir. Les rites dits « d’accueil » lors de toute Eucharistie sont faits pour cela : signe de croix et salutation liturgique bien sûr, mais aussi préparation pénitentielle et hymne à la gloire de Dieu[1].
Dès le début de l’Eucharistie, nous passons par la porte qu’est le Fils – « ô Christ, prends pitié ! » disons-nous dans le Kyrie, sans parler de la mention du Fils dans le Gloria qui est, de loin, la plus longue des trois parties de cette hymne trinitaire.
Passer par la porte qu’est Jésus est essentiel pour célébrer toute Eucharistie. Par là, nous nous reconnaissons de son troupeau puisqu’il est la « porte des brebis » si l’on veut citer complètement l’expression de Jn 10,9.
Je suis le chemin, la vérité, la vie – trois lectures bibliques
Trois éléments – chemin, vérité et vie – pour trois lectures dominicales :
– Le chemin représente la lecture vétérotestamentaire, elle est une voie qui nous mène au Christ, à travers aussi le psaume qui lui répond et poursuit la route. Seul le temps pascal nous propose en première lecture un texte du Nouveau Testament, mais systématiquement pris dans le livre des Actes : un vrai chemin, là aussi, à travers ce que nous découvrons des premières communautés chrétiennes.
– La vérité du message du Christ se trouve dans les lettres qui constituent toujours notre seconde lecture. Ces mots parfois difficiles à entendre que prêchent Paul et les autres rédacteurs des épîtres sont destinés à affermir notre foi, à nous offrir une éthique, à pourfendre le mensonge de toutes les tentations qui nous guettent.[2]
– La vie est la substance même de l’Evangile, puisque ce texte suprême que nous écoutons debout – en pleine vie et non avachis sur nos bancs ! – nous invite à contempler le mystère du Christ à travers sa propre vie parmi nous. A travers la vérité, le chemin de la Parole nous a conduit jusqu’à la vie. Et nous buvons à cette eau vive qui sourd de chaque page de l’Evangile[3].
Je note au passage que Jésus s’adresse à Thomas lorsqu’il dit être le chemin, la vérité et la vie. J’y vois aussi une invitation à puiser notre foi dans la Parole de Dieu : « Cesse d’être incrédule, sois croyant ! » nous dit la liturgie de la Parole. Et cela appellera notre réponse à travers le Credo.
Je suis le bon berger – prédication et credo
A lire le pape François dans les conseils qu’il donne aux prédicateurs, il s’agit effectivement pour eux de symboliser le bon berger particulièrement dans ce moment de la liturgie eucharistique qu’est le repas de la première table, celle de la Parole.
Une bonne prédication ne saurait donc juger, condamner, railler. Mais bien plutôt elle doit conduire le troupeau, avec douceur et connaissance de chacun, faire cheminer au rythme du plus lent, du plus faible, sans ambitionner d’aller trop loin mais en guidant avec patience. Un travail de berger, très clairement.
Mais ne regardons pas le doigt du sage lors-même qu’il essaie de nous montrer la Lune ! Le bon berger que ne fait que représenter le prêtre est là pour nous conduire vers le Berger Eternel qu’est le Christ, et à travers Lui par l’Esprit jusqu’au Père. Ce cheminement sous la houlette du Berger nous conduit donc à réaffirmer notre foi dans le Credo.
Je suis le pain de vie – de l’offertoire à la consécration
La préparation des espèces met à l’œuvre le pain et le vin, bien entendu. Mais conservons le verset parlant de la vraie vigne pour la seconde partie de la prière eucharistique, je m’expliquerai à ce sujet plus bas.
Le pain est fruit de la terre, du travail humain. Il est pain de nos vies et deviendra le pain de LA vie. Le prêtre le dit d’ailleurs ainsi : « il deviendra le pain de la vie »… alors qu’il ne dit pas cela du vin (« il deviendra le vin du Royaume éternel »).
C’est ce pain, devenu Son corps, que nous sommes appelés à former en devenant ce que nous recevrons lors de la communion. Tout est toujours tourné vers la vie dans cette partie de la messe, des paroles de l’offertoire à celles du Sanctus en passant par la préface, tout est nourriture pour notre vie.
Je suis la vraie vigne – de la consécration jusqu’à la fraction
Ce n’est qu’ensuite, après la consécration, qu’arrive un vocabulaire au ton fort différent : il s’agit non seulement de former un seul corps mais de communier à la coupe du salut. Or cette coupe, dont Jésus demande à Pierre s’il est capable d’y boire, c’est celle du sacrifice. Arrivent alors les prières pour les grands témoins – parfois martyrs – qui nous ont précédés dans la foi, les prières pour nos défunts, aussi.
Mais la « vraie vigne » ne s’arrête pas à cette coupe posée sur l’autel. Jésus le dit : il s’agit pour chacun de nous d’être des sarments branchés sur la vigne qu’il représente. Et pour cela, quoi de mieux que de reprendre les mots qu’il nous a enseignés pour parler à son Père ? Tout naturellement arrive la prière du Notre Père à ce moment de l’Eucharistie.
Enfin, s’il est la vraie vigne, il est aussi l’Agneau de Dieu, le fils du vigneron offert en sacrifice pour les péchés du monde, ce que symbolise la fraction du pain[4] et le chant de l’Agnus. Si tant d’éléments étaient pain de vie dans la première partie de la prière eucharistique, tant d’autres sont ainsi coupe du sacrifice dans la seconde.
Je suis la résurrection et la vie – communion
La vie éternelle, c’est bien ce que nous venons chercher dans la petite hostie lorsque nous nous avançons pour communier.
C’est aussi la force pour continuer notre route, comme un pèlerin s’arrête à l’étape pour se restaurer avant de repartir. Il était à bout de forces, essoufflé, faible. Le repas lui redonne des forces, il ressuscite, il repart vers la vie. A fortiori vers celle qui n’a pas de fin.
Ce mouvement de va et vient que nous opérons vers l’autel est le même que celui des trois jours saints de Pâques : il nous faut aller courageusement (devant tout le monde) vers le tombeau (l’autel), recevoir le corps fragile du Christ en nos mains comme Marie le prit dans ses bras au pied de la croix, le consommer avec Foi, ouvrir enfin les yeux sur ce que nous avons reçu et repartir sur notre chemin, dans l’autre sens, tels les pèlerins d’Emmaüs.
Je suis la lumière du monde – envoi
Nul n’est chrétien seulement parce qu’il va à la messe. Le pape François nous le dit souvent, et avec lui tant de ceux qui l’ont précédé : c’est d’abord dans le monde que nous sommes appelés à témoigner du Christ.
Nous sommes appelés à nous souvenir, en sortant de l’église après avoir communié, que nous sommes des Christophes, des Christo-phoroï, des porteurs-de-Christ. Nous avons à le porter au monde, à illuminer le monde de sa présence en nous. D’où l’importance de ne pas sortir de la messe avec des faces de Carême sans Pâques[5], mais bien des visages d’illuminés au sens littéral du terme. Nous avons à rayonner de la joie du Christ autour de nous.
Ici se rejoignent d’ailleurs ces deux versets – qui sans cette image pourraient apparaître contradictoires – de Jn 8,12 (JE SUIS la lumière du monde) et de Mt 5,14 (VOUS ÊTES la lumière du monde). C’est parce qu’il est la lumière du monde et que nous le portons en nous que nous devenons, nous aussi, lumières du monde.
En conclusion : deviens qui tu as reçu
Nietzsche tenait de Pindare son célèbre « deviens qui tu es » – formule qui dissimulait habilement la volonté du philosophe athée de nous appeler à devenir ce Dieu-mort que l’Homme devait s’approprier au point de le remplacer. Loin de cette voie sans issue, appelons de nos vœux que chacun des sept « Je suis… » de Jésus-le-Vivant nous aide à devenir CE QUE NOUS AVONS REÇU, le Corps du Christ, en faisant communauté, Eglise, un peu plus à chaque Eucharistie.
Vincent Lafargue
Paru dans la revue « Ecritures », 2019 – 3
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Notes :
[1] Pour cette méditation, je me base sur le déroulement de la messe dominicale en temps ordinaire qui ajoute au déroulement de l’Eucharistie de semaine le Gloria, la seconde lecture et le Credo.
[2] Supprimer la seconde lecture, rappelons-le, n’est absolument pas une option liturgique sauf cas très exceptionnels. Dans ce schéma, cela reviendrait à supprimer la vérité : ceci dit bien cela, me semble-t-il !
[3] On pourrait aussi appliquer Jn 14,6 à toute la liturgie de la Parole : le chemin est alors celui des lectures bibliques, la vérité – nonobstant l’humilité nécessaire à chaque prédicateur – serait l’homélie, la vie représenterait le Credo puisque c’est la Foi qui nous fait partager la vie éternelle.
[4] …qu’il serait donc tout à fait saugrenu de fractionner plus tôt, lors de l’offertoire ou des paroles de consécration comme on le voit hélas ici ou là.
[5] Ou de piments au vinaigre, autre expression récurrente dans les textes du pape François.