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Homélie pour le 23e dimanche TO, année C
Sagesse 9, 13-18 / Psaume 89 / Philippiens 9b-10.12-17 / Luc 14, 25-33
> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :
« Celui qui ne porte pas sa croix ne peut pas être mon disciple… »
C’est une phrase dure de la part de Jésus. Et elle n’a pas toujours été très bien comprise, cette phrase. On pourrait tirer de cette phrase une chose absolument insupportable qu’on appelle le dolorisme. C’est une des inventions les plus perverses qu’on nous ait servies pendant des siècles. Le dolorisme : souffrir pour mériter son ciel ! Souffrir pour être plus proche de Dieu ! C’est absurde !
Les plus jeunes d’aujourd’hui ne pensent absolument pas que d’avoir mal, ça nous rapproche de Dieu. Je pense que si je pose la question à Ignacio, à Sarah, à Elise, à Camille… « Avoir mal, ça ne nous rapproche pas de Dieu ? » Non ! C’est parfaitement logique.
Mais pour ceux d’entre nous qui sont jeunes depuis plus longtemps que les autres… ça fait partie des phrases qu’on a pu entendre dans notre éducation religieuse ou par nos grands-parents : « Tu as mal ? Bah tu mérites ton ciel ! » « Tu souffres ? Eh bien offre ta souffrance ! » NON !
Non, c’est une hérésie que de penser cela. Et l’Eglise le dit. Jamais Dieu ne veut la souffrance, jamais !
La souffrance, c’est un mal, vous êtes d’accord ? « Avoir mal… » La souffrance, c’est un mal et le mal ne vient jamais de Dieu. Le mal, ça n’est pas le contraire du bien – on le sait, depuis les philosophes – le mal c’est l’absence d’un bien qui devrait être là.
Un aveugle, ce n’est pas le contraire de quelqu’un qui voit ! Un aveugle, c’est quelqu’un qui devrait avoir la vue et qui ne l’a pas. Le mal, c’est l’absence d’un bien qui devrait être là et qui n’est pas là.
Si votre pantalon est troué, à l’endroit du trou il devrait y avoir de l’étoffe.
Le trou, ce n’est pas le contraire du pantalon ! Le trou, c’est l’absence d’un bien qui devrait être là… sauf pour les jeunes d’aujourd’hui qui trouent leur pantalon volontairement, ça c’est autre chose !
Le mal, c’est l’absence d’un bien qui devrait être là. Et donc, si Dieu est le Bien, il ne peut pas être à la fois le Bien et son absence ! C’est absurde, quand on y pense…
Dieu ne peut pas être à la fois le Bien et l’absence de Bien, il ne peut pas être quelque chose et son absence. Dieu ne veut jamais le mal, le mal c’est l’absence de Dieu.
Par contre, il arrive que Dieu laisse survenir le mal dans notre vie. Et ça, ça pose des questions parce qu’il est tout puissant ! Alors chaque fois qu’un mal arrive dans notre monde, on se dit « Mais où est Dieu ? pourquoi est-ce qu’il y a cette souffrance, ce mal, cette guerre ? Pourquoi suis-je en prison ? » comme Paul nous l’expliquait dans la deuxième lecture.
« Pourquoi le mal puisque Dieu est tout-puissant ? »
Mais nous oublions qu’il est tout puissant en Amour ! Il est tout puissant comme un père. Un père ne veut pas qu’il arrive du mal à son enfant… mais un père n’est pas Superman ! Si l’enfant trébuche sur le chemin, ce n’est pas le père qui est derrière qui l’a poussé ! Il n’a pas voulu ce mal, mais le mal arrive tout de même, c’est la vie. Et Dieu nous aime, mais comme un père, il ne peut pas supprimer le moindre des maux qui nous arrive…
Alors qu’est-ce que veut dire cette phrase, « celui qui ne prend pas sa croix, qui ne porte pas sa croix, ne peut pas être mon disciple.»… ?
Eh bien prendre sa croix, porter sa croix, ce n’est pas souffrir pour se rapprocher de Dieu, c’est accepter que nos vies ne sont pas de longs fleuves tranquilles !
Nos vies sont comme les chemins de nos montagnes, il y a des moments merveilleux, des passages à plat, au soleil, dans le fond du vallon… on a envie de se dire que tout va bien ! Et puis il y a des moments de nos vies qui sont des raidillons, des pierriers et surtout… des escaliers !
Si vous vous baladez dans nos montagnes, vous verrez, à certains moments, à certains endroits, des escaliers. Et quand j’arrive dans ces escaliers de bois, j’ai toujours envie d’envoyer un de mes pantalons à l’office du tourisme, pour qu’ils mesurent les jambes – standard – et qu’ils nous fassent des marches « standard » ! Pas des trucs d’un mètre de haut qu’on ne peut gravir qu’avec des bâtons ou en s’aidant de quelqu’un ou de la rampe qui est là.
Et c’est vrai que les marches, sur les sentiers de nos montagnes, sont parfois assez redoutables !
Et quand j’arrive au pied de ces marches, comme tout récemment au-dessus des Plans, je me dis « Seigneur, c’est trop difficile, c’est trop raide, on n’y arrivera pas ! » Et puis finalement on y arrive, bien sûr…
C’est exactement la même chose que devant une souffrance, un mal, un deuil… On se dit : « Seigneur, c’est trop dur, ça ! Je n’arriverai pas à gravir cette souffrance ! C’est trop difficile pour moi ! » …et puis finalement, on la traverse, cette souffrance.
On la traverse d’autant plus qu’on a la foi, parce qu’alors on sait que Dieu est avec nous. Chaque croix que nous portons porte, Dieu la porte avec nous !
Et puis, quand on arrive au sommet de l’escalier, si on se retourne, eh bien on s’aperçoit qu’à cet endroit-là, manifestement, on ne pouvait pas faire autrement.
On était obligé de faire ces marches, et de faire ces marches assez élevées parce que la pente était très raide. On ne pouvait pas faire autrement que de traverser cette épreuve-là, si l’on voulait aller plus haut.
C’est là que le dolorisme a niché son venin. On ne pouvait pas faire autrement pour atteindre Dieu… non, c’est faux !
La souffrance, elle est là. Mais elle n’est pas là pour nous aider à atteindre Dieu ! Elle est là parce qu’on ne peut pas faire autrement, la vie est faite de souffrances AUSSI, comme un sentier de montagne est fait AUSSI de passages difficiles.
Ce qui regarde Dieu, c’est qu’il est avec nous dans ces passages difficiles ! Et qu’une fois le passage franchi, on n’est pas forcément plus proche de lui, non, mais on a davantage confiance en nous, on a réussi à traverser cette souffrance, ce moment difficile !
S’il y a un « intérêt » dans la souffrance, il n’est que là, une fois qu’on l’a traversée, pour se dire : « J’ai été capable de traverser cela ! » C’est le seul intérêt de la souffrance.
Parce que si vous allez vers quelqu’un qui est sur un lit d’hôpital lui dire : « Tu souffres, mais c’est pour ton Dieu ! » Eh bien, si vous ne vous prenez pas une baffe, vous serez tombés sur quelqu’un de très gentil et charitable. Et si vous dites à un jeune qui souffre son premier chagrin d’amour : « C’est bien, tu sais, tu vas gagner ton ciel avec ça ! » eh bien vous en ferez un jeune de plus qui ne mettra pas les pieds à l’Eglise. Et je ne lui donnerai pas tort.
La souffrance ne rapproche pas de Dieu. Mais savoir qu’elle existe dans nos vies, savoir qu’avec Dieu, on peut traverser nos souffrances, c’est ça qui est important.
Et puis, ce qui est important aussi, c’est de se souvenir de la petite leçon de la première lecture : la manière de voir de Dieu nous échappe complètement.
Quand on est au pied de l’escalier, dans la montagne, on ne se rend pas compte que c’est indispensable que cet escalier soit là ! On ne voit pas ce qu’il y a au-dessus.
Dieu, lui, voit tout l’escalier. S’il a laissé cet escalier se construire, c’est parce qu’il sait qu’on est capable de le traverser et parce qu’il sait ce qu’il y a ensuite.
C’est ainsi, je crois, qu’il nous faut comprendre le fait de porter sa croix.
Et je vais terminer par une petite image que vous trouvez sur Internet… qui est magnifique au sujet de cette idée de « porter sa croix ».
Vous voyez des gens, sur cette image, qui portent leurs croix, comme ça, ce sont des croix lourdes, longues, ça traîne par terre derrière eux, c’est pénible, c’est difficile, comme toutes les croix de nos vies…
Et puis il y en a un, parmi eux, qui lève les yeux vers le ciel et qui dit : « Seigneur, c’est trop lourd, c’est trop lourd, c’est trop difficile, j’y arriverai pas ! »… comme nous, en-bas de l’escalier…
Et puis, il trouve une scie par terre. Alors il s’arrête et puis il coupe un bout de sa croix, derrière…
Et puis, plus il avance, plus il en recoupe un bout, elle devient de plus en plus légère, c’est formidable ! Elle ne traîne plus par terre, d’ailleurs. Ça devient une toute petite croix, facile à porter !
Et puis, il arrive devant un précipice. Et ceux qui le précédaient, avec leurs longues croix qui traînaient par terre, ils ont pu poser la croix en-travers du précipice et ils ont pu traverser…
Mais lui, il a raccourci sa croix ! Il a voulu marcher avec une croix plus légère, plus petite, c’était formidable ! Mais il ne peut pas traverser le précipice, sa croix est trop courte, parce qu’il l’a raccourcie…
Vous voyez, il y a des croix dans nos vies, des douleurs, des souffrances… tout le monde n’est pas en prison, comme dans la deuxième lecture – Dieu merci ! – mais des deuils, des douleurs, des souffrances, on en traverse tous.
Il arrive qu’au milieu de nos douleurs, de nos souffrances, on veuille les raccourcir. Ce n’est pas la solution.
Mais si on a la foi, par contre, on sait que Dieu porte cette croix avec nous. Et lui, il sait à quoi cela nous servira par la suite.
Ayons confiance, au cœur des croix de nos vies, et portons-les. C’est ce que Jésus nous demande de faire.
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Bex, samedi 7 septembre 2019, 18.00
Villars s/ Ollon, dimanche 8 septembre 2019, 10.00 (version enregistrée)
La Luette, dimanche 8 septembre 2019, 18.30
Jean-Pierre
Merci beaucoup pour cette homélie qui m’éclaire car je me suis souvent interrogé sur le sens de la souffrance.