Homélie pour le 20e dimanche du temps ordinaire, année B
Au revoir à la paroisse de Monthey
Proverbes 9,1-6 / Psaume 33 / Ephésiens 5,15-20 / Jean 6,51-58
Chers Amis,
On pourrait croire que les textes de ce week-end ont été écrits pour la situation que vit notre communauté en cette rentrée…
Que de bouleversements ce printemps, et que de nouveaux visages vous allez encore découvrir la semaine prochaine !
Je pense aussi à la famille endeuillée qui est avec nous pour cette messe de 7e. Leur deuil est immense, c’est un véritable bouleversement qu’ils vivent, eux aussi.
Deux attitudes sont possibles, en réponse aux changements, aux bouleversements, aux douleurs, aux amertumes, aux deuils :
> 1ère attitude possible : tout envoyer valser. Pour nous, dans la communauté, décider que tout ce qui s’est passé donne décidément un bien vilain visage d’Eglise, et donc décréter que nous n’irons plus à la messe, ou plus à la messe ici à Monthey. Je sais qu’il y a des personnes qui ont pris cette décision. Je ne les juge pas. C’est une réaction humaine. C’est comme face à un grand deuil, on peut – et c’est souvent légitime – être dans une telle douleur qu’on envoie tout promener, qu’on en veut à Dieu et aux autres, et à la terre entière.
> 2ème attitude possible : suivre les textes d’aujourd’hui, et tenter de suivre le Christ encore et toujours. Décider d’être sage et non fou. Décider de continuer à vivre, à survivre. Le décider aussi pour celles et ceux qui sont partis. Accepter l’invitation que nous fait le Seigneur à chaque eucharistie, et se souvenir que l’Eglise, c’est nous toutes et tous, et pas seulement les curés, les évêques, le pape… C’est donc nous toutes et tous qui avons à en être les pierres vivantes.
Et puis si on n’a pas l’habitude d’y venir, à l’église, eh bien se dire qu’il y a aussi d’autres manières de témoigner de nos valeurs, ou des valeurs chrétiennes de celle qui nous a quittés. Vivre dans le monde en authentiques témoins.
La première lecture de tout à l’heure, tirée du Livre des Proverbes, nous annonce que la Sagesse a dressé une table et qu’elle nous invite à partager ce repas. Le psaume surenchérit : goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! Des riches ont tout perdu, ils ont faim… Mais qui cherche le Seigneur ne manquera de rien.
Il s’agit donc d’avoir faim… de Dieu, de sa parole, de son pain de vie…
Il s’agit de décider un jour ou l’autre que ce repas que je viens partager ici, dans cette église, ne dépend pas de celui qui me le sert, parce que c’est Dieu que je viens chercher, parce que c’est Dieu qui m’y invite, parce que c’est Dieu, en Christ, qui célèbre chaque messe, peu importe que le prêtre soit un voyou comme moi, peu importe le rite qu’il utilise. Latin, français, extraordinaire, ordinaire, détails tout cela. Si on voulait réellement célébrer comme l’Eglise du Christ, des tout premiers siècles, on ne célébrerait ni en français ni en latin, ni en grec, ni en hébreu mais en ARAMÉEN. J’aime autant vous dire que là, comme rite extraordinaire, ce serait décoiffant !
Les pères de l’Eglise le disaient dans cette formule toute simple : ‘que Pierre célèbre ou que Judas célèbre… Peu importe : c’est le Christ qui célèbre!’
Au fond, peu importe le flacon – et le vendeur, et la couleur de la boutique – pourvu qu’on ait l’ivresse…
À chaque Eucharistie, c’est le Christ que vous venez goûter, chercher, écouter. C’est du Christ que nous devons être ivres. Et c’est lui qui nous y invite. C’est lui le pain de vie descendu du ciel, comme nous le rappelait Jésus dans l’évangile que nous venons de réentendre.
Il serait donc peu réfléchi de décider, à cause des faits et gestes des hommes, de ne plus venir à l’Eucharistie à laquelle Dieu nous invite. Ce serait mettre sur un même plan Dieu et l’Homme.
Maintenant, me direz-vous, c’est bien joli tout ça, pourtant ça n’empêche nullement de décider de continuer à aller à l’Eucharistie AILLEURS.
À première vue, votre remarque pourrait être juste, et passablement justifiée, vu tout ce que vous avez subi et vécu ici ces derniers mois. À première vue…
Mais construire une communauté, c’est le faire dans le lieu de cette communauté. On supprime des messes à certains endroits certains jours parce qu’il n’y a plus assez de fidèles qui s’y rendent. C’est un mouvement contestable – pour ma part même s’il n’y a qu’un fidèle présent j’estime qu’il est de mon devoir de célébrer – c’est un mouvement contestable donc, mais inéluctable. Et on en voit les prémices partout.
En allant à la messe ailleurs, on participe à ce mouvement. On le favorise. On l’encourage. Tant qu’on peut se déplacer, on peut très égoïstement se dire ‘tant pis, je vais ailleurs’… Mais il y a celles et ceux qui ne peuvent pas se déplacer, ou plus difficilement, il y a celles et ceux qui ont simplement besoin d’une Eucharistie près de chez eux.
Et construire une communauté, c’est aussi et d’abord prendre soin du plus faible que nous, du plus âgé que nous, du plus petit que nous… La communauté ne se construit pas seulement sur nos idées, sur nos préférences, sur nos petites habitudes.
Faire communauté, c’est se serrer les coudes, comme dans une famille lors d’un deuil, et décider ensemble de continuer à vivre de l’Eucharistie ici et maintenant.
On peut avoir des atomes crochus ou non avec tel ou tel responsable de communauté. On peut – et on doit – le rendre attentif à ses actes et à ses responsabilités. Mais on ne peut pas tout à coup balancer des phrases du type :
« Ah oui, mais vous savez, moi avec ce prêtre, je ne suis pas assez nourri, alors je vais ailleurs. »
« Ah mais vous savez, ce prêtre on le comprend mal, alors nous on va à la messe ailleurs. »
« Ah mais vous savez, ce prêtre il a fait telle et telle mauvaise action, alors nous quand c’est lui qui célèbre on ne vient pas. »
Ce sont des phrases que j’ai entendues ici, à Monthey. Sont-elles vraiment l’image de ce que le Christ a voulu nous montrer lorsqu’il a fait route avec ses disciples, en faisant communauté ?
Quand on est une communauté digne de ce nom, on se serre les coudes. On répond coûte que coûte à l’appel du Seigneur puisqu’il vient jusque chez nous pour nous inviter à sa table. Et on ne va pas ailleurs. Même et surtout si le prêtre qu’on aime bien s’en va.
Alors je vous exhorte, chers Amis, à continuer de répondre à l’appel du Seigneur qui vous est fait ICI À MONTHEY. Je vous exhorte à continuer de venir dans cette église où Dieu vous invite en vous redisant, comme aujourd’hui dans l’évangile : ‘Moi je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mange de ce pain vivra éternellement.’ Je vous exhorte donc à faire fi des visages et des voix, mais à prendre conscience que c’est le Seigneur, et personne d’autre, que vous recevez à cette table qui est la vôtre. C’est votre vie éternelle que vous venez chercher. Pas autre chose.
J’aurais pu très facilement, pour cette dernière fois où je m’adresse à vous, faire une prédication amère et vous inviter par des mots détournés à ne pas suivre ceux qui m’ont blessé ou qui ont blessé mes amis, ou à dénigrer ceux qui vont me succéder. Cela aurait été lâche et petit. Misérable. Parfaitement indigne d’un serviteur de Dieu. Il y a suffisamment de choses dont je ne suis pas fier pour ne pas en rajouter !
Je préfère – et de loin – vous dire « Aimez-la, cette nouvelle équipe! Accueillez-les, ces nouveaux visages! Aimez-le, votre Conseil de Communauté. Ce sont des gens qui se dévouent pour vous, et ce n’est pas facile. Aimez-le, votre curé. Aidez-le à être à votre service. Aimez-le, notre évêque. Il prend des décisions, c’est son rôle. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec ses décisions, c’est humain. Mais qui voudrait être à sa place, hein ? Qui ? Pas moi, en tout cas. Aimez-le. De manière générale, aimez-vous les uns les autres. Et si quelqu’un vous a blessé, aimez-le davantage. Pardonnez à ceux qui vous ont blessés. Pardonnez-leur comme moi-même, je le dis avec joie, je leur ai pardonné, du fond de mon cœur. »
Je préfère – et de loin – vous dire comme Paul dans la seconde lecture : « Frères, tirez parti du temps présent car nous traversons des jours mauvais. Ne soyez pas irréfléchis mais comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur.«
Il y a le temps du pourquoi, hurlé vers le ciel. Comme dans un deuil. Et une famille de notre communauté est dans ce temps ce soir.
Et puis, ensuite, maintenant pour vous, chers paroissiennes et paroissiens, il y a le temps de se demander ce que l’on va faire de cette situation, maintenant qu’on ne peut plus revenir en arrière. Et cela, c’est le temps de la sagesse. C’est le temps de Dieu. C’est le temps de se redemander qu’elle est la volonté de Dieu pour nous.
Et cette volonté, soyez-en certains, c’est que vous fassiez communauté ICI, que vous soyez unis ICI.
Je vous garde dans la prière, chers Amis. Certain que vous saurez suivre la volonté de Dieu pour que vive cette église, pour que se reconstruise cette communauté, pour que demeure toujours ce repas, à cette table-ci, parce que c’est Dieu qui vous y invite, parce que c’est la Sagesse qui a dressé cette table, parce que c’est le Christ, présent dans chaque prêtre, qui vous le sert avec amour.
Que Dieu veille sur vous! Amen.
Monthey (Eglise), 18 août 2012
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